Cours-conférences filmés d'ethnomusicologie

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Les multiples symboliques de l'instrument de musique

• SYMBOLIQUE SEXUELLE

peniscloche

 

Instrument de bronze à fonction prophylactique et apotropaïque, servant à protéger des esprits maléfiques et des mauvais sorts. Rome, 1er siècle après J.-C., Londres, British Museum. Cliché Luc Charles-Dominique.

Dans la littérature orale française mais aussi dans de nombreux écrits historiques (poésie érotique, etc.), les instruments à vent – hauts, selon la terminologie médiévale, c’est-à-dire bruyants – ont une très forte symbolique érotique, symbolique étendue au violon, instrument au son aigu, perçant, à cordes frottées. Parmi ces instruments à vent, même si les instruments à anches – dont la cornemuse – arrivent en bonne place des instruments érotisés, c’est surtout la flûte qui jouit de cette symbolique, elle qui est aussi l’instrument de la magie par excellence.

En Languedoc, le sexe masculin en érection est appelé la « flaüto », « la flûte de pan-pan », « lo siblet » (le sifflet). Du coup, pour dire qu’on cesse de faire des enfants, on dit à Lodève (Hérault, Languedoc) : « On met un bouchon à la flaüto » (Achard 1983 : 97, 99). L’apprentissage du sifflement chez les jeunes garçons, le dénichage ou le piégeage des oiseaux dont fait partie l’imitation du chant des oiseaux, jouent un rôle important dans la quête de l’identité sexuelle du jeune adolescent, de même que les jeux d’adresse avec les oiseaux (en particulier le tir à l’arc) servent à départager un prétendant amoureux ou un chef de jeunesse. Or, il existe une identité étymologique entre la flûte et le chant des oiseaux, ce qui a pour effet d’érotiser très fortement l’instrument. En effet, le mot piper, du latin pippare (piauler, glousser), d’origine onomatopéique, apparaît au viiie siècle au sens de gazouiller et, à la fin du xiiie siècle, de jouer de la flûte. Un siècle plus tard, il a d’ailleurs pour sens imiter le cri d’un oiseau que l’on veut attirer. Dès le ixe siècle, le mot pipa prend la signification d’un tuyau creux, qui a fini par désigner les tuyaux musicaux dans leur ensemble (le mot existe toujours en anglais où il entre dans la constitution de mots tels que bagpipe, hornpipe, etc.). Or, ce terme de pipe a produit deux dérivés franchement péjoratifs, dont l’un a une forte connotation sexuelle. C’est au xve siècle qu’est apparue l’acception piper pour tromper, leurrer, acception qui s’est développée au xviie siècle pour devenir un adjectif (les dés sont pipés). Au xve siècle, Villon utilise l’expression « jouer des flûtes » dans le sens de « abuser par ses discours et la crédulité des gens, baratiner » (Villon 1991 : 161). Sans doute cette expression trouve-t-elle son origine dans cette première acception du mot piper, tout comme l’expression récente « c’est du pipeau », dans le sens d’un mensonge fait pour tromper, la prolonge. De toute façon, selon Alain Rey, le verbe « tromper », a d’abord désigné l’action de « jouer de la trompe » avant de signifier « induire volontairement en erreur » (ces deux acceptions dévalorisantes bâties sur la notion de mensonge ne sont-elles pas le prolongement sur le terrain du langage parlé des métaphores des mauvais usages de la parole ?). La seconde, bien plus récente (1935), « faire une pipe » au sens de pratiquer une fellation (vocabulaire des prostituées parisiennes), motive évidemment ce terme d’une forte connotation sexuelle. On retrouve d’ailleurs une évolution sémantique identique avec l’un des noms de la cornemuse en usage au xive siècle, turelure, nom soit onomatopéique, soit bâti sur lure, loure – outre –, qui a donné le terme turlututu, également onomatopéique, pour désigner d’abord le son de la flûte, puis la flûte en général ainsi que le mirliton, le mot turlutaine ayant désigné au xixe siècle la serinette. Mais, à cette époque, turlututu va signifier en argot « pénis » et faire une turlutte, c’est également faire une fellation… On s’aperçoit donc que le mot pipe cristallise toute la dévalorisation de la monodie, du vent et, dans l’ensemble, des hauts instruments (car pipe entre essentiellement dans la composition de noms de hauts instruments).

En outre, certaines flûtes possèdent, du fait de leurs caractéristiques, un lien évident avec les oiseaux, ce qui ne fait que renforcer leur érotisation : les flûtes populaires « à une main » (c’est-à-dire à trois trous de jeu), sont parfois taillées dans des os d’oiseaux. Pierre Trichet, en 1640, précise que « outre ces matieres [roseau, fer, alisier, buis, corne, os d’éléphant, branches creuses de petits lauriers], la premiere qu’on a employé pour ce subjet a esté l’os de jambes de cerf, puis apres ceux de bœuf, d’asne ou de grue » (Trichet 1978 : 64). En Castille, on fabrique certaines flûtes à trois trous en os de vautour (« hueso de ala de buitre ») (Jambrina Leal, Cid Cebrián 1989 : 82).

La flûte et le sifflet possèdent une très forte symbolique érotique, dont la diffusion dans l’espace et dans le temps est immense. Les sources ethnographiques françaises en livrent de multiples attestations. Dans un conte licencieux de l’Agenais, le sifflement est la métaphore de l’amour physique (Perbosc 1984 : 217). Des potiers du village berrichon La Borne-d’en-Bas (près de Henrichemont), centre important de poterie, m’ont assuré qu’il y a quelques décennies encore, les potiers fabriquaient de petits sifflets en forme de pénis en érection, destinés aux « caveaux » de Montmartre où les prostituées s’en servaient pour appeler leurs clients. Il y a encore une trentaine d’années, il n’était pas rare de voir ces petits objets sécher sur les rebords des fenêtres des potiers avant la cuisson. Cette métaphore de la flûte pour désigner le sexe masculin est générale.

Références de cet article :

  • ACHARD Claude, 1983, Anthologie des expressions du Languedoc : « Aller faire téter les puces », Marseille, Rivages.
  • JAMBRINA LEAL Alberto, CID CEBRIÁN José Ramón, 1989, La Gaita y el tamboril, Salamanca, Centro de Cultura Tradicional.
  • PERBOSC Antonin, 1984, Contes licencieux de l’Aquitaine : contribution au folklore érotique. 1, Carcassonne, GARAE/Hesiode (1ère éd. 1907).
  • TRICHET Pierre, 1978, Traité des instruments de musique, publié avec une introduction et des notes par François Lesure, Genève, Minkoff (1ère éd. ca 1640).
  • VILLON François, 1991, Poésies complètes, Paris, Le Livre de Poche (« Lettres gothiques »).

Texte extrait de Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France 1200-1750, Paris, CNRS, 2006, pp. 180-181.

SYMBOLIQUE POLITIQUE ET GUERRIÈRE

hotel de ville

Les ménétriers consulaires de la Ville de Perpignan, à la veille de la Révolution. Comme de nombreuses autres représentations des musiques consulaires sous l’Ancien Régime, les anches (ici la cornemuse et les hautbois) et les trompettes s’associent pour un haut sonore éclatant. Par ailleurs, cette image illustre ce qu’était l’ancienne cobla catalane, dite alors de tres quartans car en général constituée de trois instrumentistes qui jouaient à eux trois quatre instruments de musique : hautbois, cornemuse, flûte à une main (flaviol) et tambourin.

Lorsque le dualisme organologique des hauts et des bas instruments apparaît en Europe au xiiie siècle, les hauts désignent ces instruments sonores constitués essentiellement d’instruments à vent (trompes, trompettes, cors et cornets, sacqueboutes, chalemies et hautbois, cornemuses, flûtes de type flageolets, fifres, etc.) et de timbales et tambours.

Il s’agit là de l’instrumentarium guerrier et politique, les hauts instruments marquant par leur haut volume sonore les hauts personnages et les hauts pouvoirs, par le biais d’une homologie symbolique qui attribue à l’éclat sonore et instrumental l’illustration de l’éclat du pouvoir politique.

  • ARBEAU Thoinot (TABOUROT Jean), 1988, Orchésographie. Traité en forme de dialogue par lequel toutes personnes peuvent facilement apprendre et pratiquer l’honnête exercice des danses, Guéniot, reprint (1ère éd. 1589).
  • BROSSARD Sébastien de, 1992, Dictionnaire de musique, Genève, Minkoff Reprint (1ère éd. 1708).

Texte extrait de Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France 1200-1750, Paris, CNRS, 2006, pp. 198-199.

• SYMBOLIQUE MAGIQUE

Le champ sonore qui entoure la magie a fait l’objet d’assez peu de sources documentaires et n’a pas été très étudié. Cependant, certains récits y font allusion, de même que, dans certaines œuvres musicales à caractère magique, les compositeurs ont recours à des effets sonores significatifs. La littérature orale occitane est assez prolixe. Dans un conte de Lozère, une fée offre un fifre magique au plus jeune des trois frères d’une famille qui lutte contre un ogre. Dans un autre conte languedocien, un jeune pâtre, Pitô, se voit offrir une flûte magique par un mystérieux voyageur qui s’avère être Dieu. Un conte gascon narre les aventures d’un jeune garçon joueur de fifre, dont on apprend qu’il « était si adroit […] que certains disaient […] qu’il devait être un peu magicien, pour sûr ». Dans la composition musicale baroque, largement descriptive, les instruments à vent « apparaissent plutôt dans les ritournelles et les accompagnements d’airs guerriers ou des scènes magiques » (Bukofzer 1988 : 174).


Référence citée dans cet article

  • BUKOFZER Manfred F., 1988, La musique baroque. 1600-1750, de Monteverdi à Bach, Paris, Lattès (1ère éd. New York, Norton & Company, 1947).

Texte extrait de Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France 1200-1750, Paris, CNRS, 2006, p. 143.